Ouvrière lingère autodidacte, JEANNE DEROIN obtient le brevet d’institutrice et rédige dès 1831 un plaidoyer contre « l’assujettissement de la femme ». Malgré son adhésion — critique — aux idées des socialistes utopiques, elle reste peu active jusque vers 1848 car elle élève ses trois enfants. Elle s’est mariée en 1832 avec le saint-simonien Antoine Ulysse Desroches, tout en refusant de prendre son nom et en insistant lors de la cérémonie civile sur son statut d’égalité.
En 1848, elle devient l’un des porte-voix de la revendication féministe : en juin 1848, elle fonde avec Désirée Gay La Politique des Femmes, « journal publié pour les intérêts des femmes et par une société d’ouvrières », et dont, sur décision administrative, elles doivent changer le titre : il devient L’Opinion des Femmes, « publication de la société d’éducation mutuelle des femmes ».
Selon Jeanne Deroin, c’est en tant que mères que les femmes ont des droits et des devoirs politiques. « C’est comme chrétiennes », explique-t-elle, « comme citoyennes et comme mères que les femmes doivent réclamer le rang qui leur appartient dans le temple, dans l’État et dans la famille. […] Mais c’est surtout cette sainte fonction de mère, que l’on oppose comme incompatible avec l’exercice des droits de citoyennes qui impose à la femme le devoir de veiller sur ses enfants et lui donne le droit d’intervenir dans tous les actes de la vie civile, mais aussi dans tous les actes de la vie politique ».
À l’instar des journalistes du Charivari, Daumier se moque des engagements publics des femmes, qu’ils soient artistiques (Bas-bleus), sociaux (Les Divorceuses) ou politiques (Femmes socialistes)
Lors de la Révolution de 1848, elle se fait connaitre progressivement jusqu’à son action d’éclat de 1849 : elle se présente comme candidate aux élections législatives du 13 mai car « la cause du peuple et la cause des femmes sont intimement liées ». Même si elle ne s’est pas manifestée publiquement avant cette date, on la trouve dans le mouvement saint-simonien, très attentive aux débats sur l’abolition des privilèges de la naissance, l’émancipation de la femme et l’amélioration du sort moral, physique et intellectuel de la classe ouvrière, comme en témoigne sa correspondance de l’époque. Elle est la première à accoler « masculin » derrière le terme « suffrage universel », allant à l’encontre du préjugé voulant que – les hommes étant seuls capables de faire de la politique – la question ne se soit même pas posée d’un droit de vote aux femmes (dès 1792, Nicolas de Condorcet proposait pourtant le droit de vote aux femmes ; idée reprise par Claude-Henri de Saint-Simon, ainsi que par Eugénie Niboyet et Madame Herbinot de Mauchamps en 1838 ou en 1848 par Jenny d’Héricourt et Victor Considerant).
Rares sont les voix — y compris dans son camp — qui soutiennent cette candidature. Pierre Joseph Proudhon, comme la plupart des socialistes, la juge « excentrique », et même des femmes comme George Sand ou Marie d’Agoult, alias Daniel Stern, l’estiment déplacée. Les différentes séries consacrées aux femmes par Honoré Daumier, « Les Bas bleus », « Les Divorceuses » ou « Les Femmes socialistes », illustrent bien ce conservatisme : elles tournent en ridicule les aspirations de ses contemporaines au vote ou au travail et présentent leur émancipation comme une catastrophe pour l’ordre domestique. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, Jeanne Deroin doit s’exiler en Angleterre où elle meurt dans la pauvreté en 1894.