Histoire des déchets dans l’Art

Si l’on considère l’histoire artistique de l’Homme dans son ensemble, ce n’est que très récemment qu’interviennent de profonds changements. De l’homme des cavernes au 17ème ‑18ème siècles, l’Art est étroitement lié soit aux croyances et religions, soit aux autorités politiques. L’art sert principalement de support à ces deux dernières entités. L’artiste, son imagination, son talent, sont leurs serviteurs. L’artiste jouit d’une certaine liberté créatrice mais dans les limites, plus ou moins étroites selon les époques, des sujets imposés et de l’esthétisme de son temps. La Révolution française et l’avènement de l’ère industrielle ont modifié les assises les plus fermes de l’Art. On assiste à cette époque, au passage d’un art au fondement créateur socioreligieux, à un art d’inspiration plus individuelle. Le 19ème siècle est une période de transition. Si l’artiste a le droit à une expression plus individuelle, il n’en reste pas moins que son œuvre est soumise à des contraintes de production institutionnalisées. Le déplacement des populations vers les centres urbains, le développement rapide des villes, ont engendré un art « artisanal ». L’architecte devait construire des bâtiments à façades néoclassiques, gothiques, etc., l’artiste devient « artisan » dans le sens qu’il devait décorer les bâtiments publics pour le compte des municipalités et selon leurs exigences. Vers la fin du 19ème siècle apparut un dégoût de cet art artisanal qui imposait des œillères à la création et l’éloignait du domaine artistique pour la rapprocher de l’imitation, voire de la production en série. L’« art nouveau » (1890) est une réaction à cette imitation institutionnalisée de la création. D’où son nom. L’artiste s’est donc libéré du joug de la religiosité (au sens large), de ses thèmes, puis de celui imposé par les institutions. Le plus grand pas restait encore à franchir : celui de son indépendance face à la « hiérarchie des genres » et face à la Nature. La révolution la plus marquante, la plus « libératrice » intervient aux 19ème ‑ 20ème siècles avec le renversement de la « hiérarchie des genres ». Cette pyramide des genres, définie par les différentes académies, classait, suivant leur valeur, les divers sujets peints. Ainsi, tenant le sommet, les sujets les plus « élevés » avaient trait aux dieux, à la Bible, à l’Église et aux mythologies. Venaient ensuite les portraits, les paysages et en dernier lieu les natures mortes. Cette liste non exhaustive montre bien la gradation des genres qui tenait lieu de cadre rigide non seulement à la classification des peintures mais aussi des peintres. Les matériaux utilisés n’ont, en ce cas, qu’une fonction pratique. Il faut attendre le milieu du 19ème siècle, avec Courbet puis Manet, pour assister au renversement de la « hiérarchie des genres ». Le réalisme l’emporte. Les scènes de la vie quotidienne deviennent les sujets des tableaux et délogent les dieux et héros mythiques. Ce renversement de la « hiérarchie des genres » par Courbet est certainement d’inspiration politique (Commune de 1871). Manet, influencé par les maîtres classiques, crée le scandale en peignant le « Déjeuner sur l’herbe » (1863) qui se réfère à des modèles anciens mais habillés de façon contemporaine : une femme nue et deux hommes vêtus ordinairement. Avec lui commence l’Impressionnisme qui continue ce détachement des sujets classiques pour le quotidien et surtout pour une recherche de couleurs, de lumière et de volumes. Cet attrait des seules teintes, formes et matières s’amplifie avec le Cubisme, puis l’art abstrait. On assiste au passage du sujet « sacré » au sujet ordinaire, puis à la prise en considération des seules formes et couleurs, pour finalement ne s’intéresser qu’au « langage plastique » avec l’art abstrait. Ce langage devient lui‑même sujet il est considéré pour lui-même, ses vides, ses pleins, le geste (Pollock, 1912‑1956 ; Mathieu, 1921 peinture gestuelle, dripping), etc. Le matériau devient aussi langage en lui‑même, il est objet et sujet de la peinture ou de la sculpture. Tout objet, toute matière peut donc devenir prétexte à l’expression artistique. Même le déchet, même la merde comme nous le verrons plus loin. L’Art est devenu une fin en soi et les moyens d’expression sont illimités. On crée comme on connaît les « sujets » plutôt que comme on les voit. Le passage objet‑œil‑outil créateur se fait à l’aide d’un réalisme raisonné alors que le passage objet‑connaissance‑outil créateur se fait par l’affect, l’intuition et le concept. Ainsi intervient le sentiment très aigu de la matière, de la texture et du relief, sentiment qui existait déjà, il est vrai, mais dont le statut n’avait pas l’importance actuelle. L’Art dit « moderne » est donc à la fois une rupture et une continuation, en ce sens qu’il est une réponse à des problèmes de création bien définis. Il y a rupture dans la vision et continuité dans la problématique de la création. Les détritus dans l’Art ne sont donc pas le fruit du hasard mais plutôt d’une longue évolution de l’histoire artistique et sociale. Mais cette évolution n’explique que la possible apparition des déchets dans l’Art et non pas la raison de leur utilisation au 20ème siècle. Expliquer l’emploi des déchets par la seule réaction, ou provocation, contre la société de consommation est un peu bref. Premièrement, anachronisme évident, les déchets furent employés bien avant que n’apparaisse le concept de « société de consommation », deuxièmement, d’autres raisons ont incité les artistes de cette seconde moitié du 20ème siècle à employer des déchets : inspiration à la vue d’un objet jeté, goût des matières nouvelles, décontextualisation/recontextualisation d’objets de série, etc. Une autre explication de l’usage des déchets dans l’Art est à chercher dans la notion nouvelle du Temps que l’Occident s’est donnée. Deux guerres, le libéralisme économique, l’objet de consommation jetable, un enseignement de l’histoire où la chronologie passe au second plan, le flot des informations instantanées de l’« actualité » (TV, radio, presse), l’abandon progressif du christianisme et donc de la notion de paradis, de bonheur dans l’au-delà, d’éternité, etc. font que le Temps se conjugue de plus en plus au présent. Le passé comme le futur laissent la place à l’immédiat, au tout tout-de-suite. Tout projet politique doit donner des résultats dans les quatre ans, maximum huit ans (mandat électoral). Une prévision à plus long terme, un programme qui ne porterait ses fruits qu’après 15-20 ans serait un suicide électoral. Les ringards, on le sait, sont disqualifiés. Il est de bon ton d’être progressiste mais…avec une vision qui ne va pas plus loin que le bout de son nez. Quel progrès… Ainsi, cette notion de temps fugace, présent, instantané est-elle illustrée dans l’Art par des œuvres éphémères et par les déchets. Ces derniers sont le symbole même de notre actualité toujours recherchée. Inclure des détritus dans une œuvre d’art, c’est dénoncer cette vision restrictive du temps, c’est ressusciter l’objet, lui redonner vie, l’éterniser puisqu’il n’est plus jetable (à moins de mettre au rebut l’œuvre d’art elle-même). L’artiste, avec sa passion de créer, ressemble à Eros fécondant Thanatos lorsqu’il redonne vie à la Mort en l’incluant (les déchets) dans son œuvre. L’artiste introduit une notion de temps cyclique. A chaque cycle interviennent de nouveaux critères de perception des objets. C’est l’artiste qui introduit des nouveaux critères : par l’introduction elle-même des détritus dans un cadre inhabituel : son œuvre, par leur mise en scène.
PREMIER TEMPS -> LE DECHET : qui n’a plus son utilité originelle, soit fonctionnelle, économique, symbolique ou esthétique et qui est rejeté. Définition indispensable car Il faut dépasser la notion du “tout est déchet” et celle du “rien ne se crée, rien ne se perd” (Lavoisier ‑ 1743‑1794)
1er CYCLE : DEUXIEME TEMPS -> INTRODUCTION DE NOUVEAUX CRITERES
TROISIEME TEMPS -> LE DECHETS REUTILISE : considéré comme matière première pour une fonction, une esthétique, une valeur ou un symbolisme nouveaux.
PREMIER TEMPS -> LE DECHET : le déchet réutilisé ci-dessus devient à son tour un déchet
2ème CYCLE : DEUXIEME TEMPS -> INTRODUCTION DE NOUVEAUX CRITERES
TROISIEME TEMPS -> LE DECHETS REUTILISE : considéré comme matière première pour une fonction, une esthétique, une valeur ou un symbolisme nouveaux.
etc…
DEFINITION ETHNOLOGIQUE DU DECHET DANS L’ART ACTUEL Hippolyte Taine (1828‑1893) écrit en 1882 une « Philosophie de l’Art » dans laquelle il établit que l’œuvre d’art est déterminée par le milieu intellectuel et moral où elle se produit. En reprenant cette affirmation, on peut prétendre qu’à chaque époque et à chaque groupe humain, correspondent des critères artistiques précis. Pour notre fin de siècle, on retiendra cette définition de l’Art plus sociologique qu’artistique ou, en d’autres termes, émanant plus du public que de la sphère artistique :
ART : création institutionnellement séparée du reste du visible par une forme ou un lieu d’exposition ou les limites de la culture artistique.
FORME : support, titre, signature, notice explicative, pied, socle, cadre, toile, etc…
LIEU D’EXPOSITION : musée, galerie, collections privées, lieu public, rue, …
LIMITES DE LA CULTURE ARTISTIQUE : esthétisme, concept, démarche, valeur marchande, mode, etc…
La conjugaison du déchet et du tableau, de la sculpture ou tout simplement d’un lieu d’exposition officiel, suffit à créer un mythe au sens barthien du terme et selon le mode d’assemblage, barthien toujours. Un socle, un cadre, un titre, une signature volent au déchet son sens en le faisant entrer dans un nouveau système sémiologique. C’est ce passage au mythe qui justifie le statut d’œuvre d’art à un amalgame de déchets. On peut soutenir qu’un assemblage de déchets n’a pas de sens et qu’il ne peut donc pas donner naissance à un nouveau système sémiologique. Mais R. Barthes répond à cette objection : « j’ai devant moi une collection d’objets si désordonnée que je ne puis lui trouver aucun sens ; il semblerait qu’ici, privé de sens préalable, la forme ne puisse enraciner nulle part son analogie et que le mythe soit impossible. Mais ce que la forme peut toujours donner à lire, c’est le désordre lui‑même : elle peut donner une signification à l’absurde, faire de l’absurde un mythe ». Et il ajoute : « C’est ce qui se passe lorsque le sens commun mythifie le surréalisme [et de par la même les œuvres incluant des déchets : Duchamp, Picasso, etc.], par exemple : même l’absence de motivation n’embarrasse pas le mythe ; car cette absence elle‑même sera suffisamment objectivée pour devenir lisible : et finalement, l’absence de motivation deviendra motivation seconde, le mythe sera rétabli » (Roland BARTHES.‑ Mythologies.‑ p. 212) Le passage du sens d’un objet à un nouveau système sémiologique ‑ en l’occurrence le passage du déchet à l’œuvre d’art ‑ se fait grâce à une contextualisation : actuellement celle de l’œuvre d’art dans notre société où la capitalisation, et d’une manière générale, l’argent dominent. De par son indépendance des institutions religieuses et des canons académiques, l’artiste devrait être aujourd’hui très libre dans sa création. Mais en fait, en passant « du secteur public » au « sec­teur privé », autrement dit de « salarié » à « indépendant », l’artiste retombe automatiquement dans de nouvelles institutions. Il ne s’agit plus des églises, des mairies mais de nouveaux temples de l’Art : le musée et la galerie. Les « canons académiques » de ces nouvelles églises sont en dernière analyse toujours l’argent. L’artiste peut créer pour créer, il peut profiter de cette liberté d’expression que lui offre notre siècle mais s’il veut vivre de son art, il doit se plier aux lois du commerce. Deux options s’offrent à lui. Premièrement produire uniquement, au risque d’y perdre sa créativité, des œuvres qui se vendent bien, qui ont du succès auprès du public. C’est le « bon filon » qu’ont trouvé un Vasarely (tableaux géométriques) ou un Erni (chevaux, maternités, couples, etc… en litho chez Ex‑libris!). Deuxièmement, créer selon ses propres désirs, sans tenir compte, dans un premier temps, des goûts du public. Ce dernier sera ensuite conditionné par la publicité, par une stratégie commerciale de la galerie qui expose, par des affiches et des publications, qui permettront de « vendre un nouveau concept », de commercialiser une « nouvelle forme d’expression » comme on lance une nouvelle lessive. CHRONOLOGIE DE QUELQUES ARTISTES UTILISANT DES DECHETS DANS LEURS OEUVRES Nous pensons que les déchets furent utilisés dès la fin du XIXe siècle par les artistes d’« Art Brut ». L’« Art Brut » est la création d’« œuvres » par des personnes extérieures à ce que l’on entend ordinairement par « domaine des Beaux-arts » :
    • Personnes sans conditionnement aux normes, aux modes artistiques, aux techniques de création et à l’esthétique.
    • Art sans promotion par des institutions comme le musée, la galerie. En d’autres termes, les artistes d’Art Brut ne créent pas particulièrement pour un destinataire.
Malgré cela, une collection d’Art Brut est créée à Paris en 1947 par Jean Dubuffet. Elle passe ensuite à New York de 1959 à 1962 et s’installe à Lausanne en 1972. Le maître des lieux a longtemps été Michel Thévoz (Conservateur de la Collection d’Art Brut). Il faut relever le paradoxe de ce Musée qui propose cette définition de “noninstitutionnalisation” de l’Art Brut et qui, en même temps, “récupère” les artistes en les institutionnalisant au sein d’une Collection. Notons, par souci d’objectivité, que ces œuvres ne furent jamais mises en vente et que la Collection se veut un anti‑musée de par son fond créé en parallèle aux circuits de l’Art officiel. Pourtant, Michel Thévoz donne lui‑même un exemple de ce que pourrait/devrait être un Art Brut total. Il s’agirait d’une femme qui réalise des tricots exceptionnels durant ses nuits d’insomnie. Michel Thévoz tente d’acquérir un de ces chefs d’œuvre mais sans succès. La vieille dame prétend que ses tricots n’ont aucune valeur, si ce n’est pour elle, et elle les défait chaque matin. Monsieur le Conservateur a du mal à accepter qu’il ne puisse « récupérer » ces œuvres ! (Entretien avec Michel Thévoz, 1986) Voici quelques artistes ayant utilisé des déchets dans leur œuvres. Pour bien cerner chaque artiste, sept points importants ont été retenus. Il s’agit de l’époque, du mouvement, de l’artiste, de son œuvre, de son interprétation de son œuvre, du rôle des déchets et, dans la mesure du possible, la réaction du public ou des critiques d’art. De 1878 à 1908, le Facteur Cheval (1836‑1924) construit son Palais idéal à Hauterives (Drome‑France). Sa principale motivation est, je le cite : « de rendre un rêve habitable ». Ce songe, il le réalisera en 30 ans, après 12 ans de gestation. Les matériaux utilisés sont des pierres, des gravats et des débris de tuiles, de verre, etc. Il utilise des déchets pour des raisons artistiques et surtout par pénurie d’autres matériaux que son modeste salaire des Postes ne lui permettait de toute façon pas d’acquérir. Ses voisins le considèrent comme « un pauvre fou qui remplit son jardin de pierres » (Cheval dixit). Auguste Forestier (1887‑1958) Il crée entre 1935 et 1949 de nombreux assemblages. Il veut, au travers des déchets utilisés pour des raisons de pénurie, faire sentir le côté insolite de ses œuvres ; il anoblit les matériaux non‑nobles et exprime aussi dans ses créations une certaine sauvagerie. Dans le monde hospitalier où il est interné après avoir fait dérailler un train, le personnel médical reconnaît dans ses œuvres « un certain art primitif » et le laisse installer un atelier rudimentaire. Heinrich Anton Mueller (1865‑1930) crée des machines vers 1906 en utilisant des restes de vélos, des rouages récupérés à droite et à gauche. Ces machines servent uniquement à dépenser de l’énergie en pure perte. Il veut ainsi marquer sa liberté face à la société qui l’a exclu auparavant. Il signifie cette liberté en créant des machines sans efficacité, sans rendement, sans performances. Sur l’appréciation de ses œuvres par le public médical de l’asile où il finit ses jours, nous n’avons que peu d’informations si ce n’est que ses créations étaient tolérées. S’il utilise des déchets, c’est à nouveau pour des raisons de pénurie. Après un art très particulier, l’Art Brut, voyons maintenant quelles furent les premières œuvres de l’Art « officiel » qui intégraient des déchets. Il s’agit sans hésitation des “Ready made” créés ‑ si l’on peut dire ! ‑ en 1913‑1915 par Marcel Duchamp (1887‑1968). Après avoir été classé comme Impressionniste, Duchamp rejoint le Dadaïsme puis le Surréalisme (1920). C’est sept ans avant la création de ce dernier mouvement qu’il expose « la roue de bicyclette » et la « fontaine » (urinoir). Sa principale intention était la provocation, la subversion, une sorte de révolution du réel par une anti‑création, un anti‑travail. Il fait passer l’objet usuel comme œuvre d’art par la loi du moindre effort. C’est une opération d’écart par rapport aux normes artistiques, par rapport à la série et aux mouvements officiels. Les déchets sont dans ce cas utilisés comme support à la provocation et à…l’humour (noir). Le public cria au scandale et les théoriciens de l’Art furent en colère. Le message passa donc. Né en 1887 et décédé en 1948, Kurt Schwitters tient une place de choix parmi les artistes ayant utilisé des déchets dans l’Art. C’est effectivement lui qui, après une période de portraitiste académique, inclut dans toutes ses œuvres des déchets. Contrairement à Marcel Duchamp, Picasso et Miró, pour ne citer que les plus connus, Schwitters utilise de façon constante des détritus dans ses œuvres dès 1918. Sa démarche est engendrée par l’influence des différentes écoles de l’époque : Expressionnisme, Fauvisme, Cubisme, Blaue Reiter et vers 1920 le Dadaïsme. Après avoir nommé ses œuvres “Merzbilder” ‑ nom trouvé de manière identique que “dada” mais sur une affiche déchirée et non dans un diction­naire ‑ il accumule dans son atelier une quantité impressionnante de déchets ramassés dans la rue. Ces détritus sont avant tout des matières qui lui plaisent. En parallèle, il décrie la société de consommation et fustige vers 1938‑40 l’Ordre aliénant et la rigidité du système Nazi. Ce dernier le considère comme un Kulturbolschewik et il doit s’exiler. Avant de rencontrer de nouveaux artistes utilisant systématiquement des détritus dans leurs œuvres, il y a une période, jusque vers 1960, où seuls quelques créateurs utilisent occasionnellement des détritus. Il s’agit principalement de Picasso (1881‑1973) et de Joan Miró (1893‑1984). Le premier, Picasso, de par sa fantastique créativité, ne peut être rattaché à aucune école. Il domine tous les styles et a été, avec son « taureau », classé comme Surréaliste. Mais ses démarches sont multiples et ce qui l’intéresse le plus, c’est la création pour la création. S’il provoque parfois, ce n’est pas une finalité en soi. Joan Miró est dans le même cas. Il est hors école et n’obéit qu’à ses propres paramètres. Il tente de retrouver la pureté créatrice, la naïveté des dessins d’enfants dans ses peintures. Pour les sculptures comprenant des déchets, c’est la matière et la créativité qui seules l’intéressent. Vers 1960, apparaît un mouvement constitué, avec un manifeste (Pierre Restany 16 avril 1960) qui préconise une utilisation des déchets dans l’Art pour une nouvelle approche perceptive du Réel. Il s’agit des NOUVEAUX RÉALISTES. Le Dadaïsme est une farce, une légende, un état d’esprit, un mythe. La tabula rasa, le zéro dada a constitué la référence phénoménologique du lyrisme abstrait. Il y a eu épuisement de ce lyrisme. Le Nouveau Réalisme crée un nouveau point de départ pour une expression plus sociologique, celle de la communication du réel de notre société de consommation. Le Monde est considéré comme un Tableau, le Grand Œuvre fondamental dont les nouveaux réalistes s’approprient des fragments dotés de « signifiance universelle ». Il n’y a plus de transcription imaginative ou conceptuelle. Le réel est l’élément de base d’un nouveau répertoire expressif. Une expression qui a pour chaque artiste une logique interne. Il y a pourtant un dénominateur commun : une certaine dérision de notre société de consommation. Les premiers artistes du Nouveau Réalisme sont Yves Klein, Cesar, Jean Tinguely, Daniel Spoerri, Arman, Niki de St. Phalle, Martial Raysse, Rotella et Raymond Hains. L’Âge d’Or de notre société de consommation que sont les années 60, prédispose les artistes à deux démarches ayant la même essence. Premièrement, une société forte, en pleine expansion économique, permet des démarches artistiques marginales que l’euphorie du moment accepte sans frémir. Il s’agit par exemple des « ready merde » ou « Merda d’artista » de Manzoni(1962). La merde, déchet par excellence, est utilisée comme provocation ultime. L’autre démarche est la critique de cette société de consommation. Prédisposés par la surabondance des biens, mais aussi des déchets, de nombreux artistes expriment leurs doutes, leurs craintes sur le symbolisme de cette consommation qui éloigne l’Homme du Réel pour le plonger dans un matérialisme schizophrénique. D’ajouter à cela, pour les artistes utilisant des déchets, un désir de provocation. Mais ceci non plus au niveau de la sphère artistique mais au niveau du grand public. La « révolution » que sont les déchets dans l’Art, appartient déjà au passé pour le monde artistique. Il n’en va pas de même pour le grand public qui n’a pas toujours assimilé ce type d’œuvres en l’intégrant comme faisant partie de la norme artistique contemporaine. Le Nouveau Réalisme est un excellent « label » pour d’autres créateurs en Europe et aux USA. Ainsi, suivant le groupe initial du Nouveau Réalisme, bien d’autres artistes ont repris les déchets comme matière première de leurs œuvres. Et ceci jusqu’à nos jours. En voici quelques uns : Buraglio, Tapies, Robert Rauchenberg, Rudolph Haas, Richard Serra, Joseph Cornell, Reiner Ruthenbeck, Paul von Hoeydonk, John Chamberlain, Panamarenko, Edward Kienholz, William Sweetlove, Alfonso Ossorio, Bill Woodrow, Joseph Beuys. Joseph Alessandri, par exemple, fait la fête aux objets jetés, brisés par des créations‑sauvetages très esthétisants. Le matériau est à l’origine du travail de par sa part de hasard dans la découverte des formes, des usures et des marques du Temps. Un côté poétique se dégage de ses œuvres. Joachim Luetke, lui, explore le Temps. Il fait une archéologie artistique qui touche le public car c’est la mémoire collective de ce dernier qui est stimulée. Certaines de ses œuvres font penser aux décors fabuleux de films de fiction se déroulant dans des civilisations antiques où l’adoration de dieux passe par des constructions cérémonielles grandioses. Ces dernières années, on assiste à l’apparition d’un esthétisme assez marqué dans les œuvres faites à base de déchets (Haas, César : bijoux en or, Alessandri, etc.). Si tous ces artistes utilisent des déchets pour les raisons décrites ci‑avant, leur démarche artistique est diverse. La matière première que sont les déchets est parfois aussi appréciée, suivant les artistes, pour leur beauté, pour marquer une différence avec la série et la standardisation, pour leur correspondance au message que l’on veut exprimer et pour une création plus totale. C’est‑à‑dire une création où tout ce qui est sur le tableau ou la sculpture n’est pas maîtrisé par l’artiste. Un peintre contrôle son tableau du premier au dernier trait. En utilisant des déchets, le créateur introduit une part de hasard. Il ne contrôle plus tous les éléments d’une œuvre et doit faire appel à ses instincts. L’artiste crée avec ses tripes.