Institué initialement pour lutter contre les réseaux qui aident les étrangers à entrer ou se maintenir illégalement sur le territoire, le délit « d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour d’un étranger en situation irrégulière » a aujourd’hui un champ tellement large que les immunités protégeant les proches parents, et sous certaines conditions les associations, apparaissent bien illusoires. Face à l’aggravation, dans la réforme française de 2003, des sanctions punissant ce délit, des associations ont cherché à interpeller l’opinion sur l’incrimination de l’aide et du soutien aux étrangers, en inventant l’expression « DELIT DE SOLIDARITE ».
« Si la solidarité est un délit, je demande à être poursuivi(e) pour ce délit ».
La solidarité : un délit ? Bien sûr, aucun projet de loi n’a – jusqu’à présent – institué un tel délit. Concernant les étrangers, le délit auquel le Manifeste fait référence s’appelle « aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger en France ». Depuis 1945, la définition de ce délit et les sanctions encourues ont considérablement évolué. Chaque réforme législative a été l’occasion d’aggraver ces sanctions, d’ajouter des peines complémentaires. Les immunités familiales mises en place en 1996 apparaissent comme une protection bien mince. Quant à l’immunité prévue dans la loi du 26 novembre 2003 pour les associations et autres personnes physiques ou morales qui apportent une aide aux sans-papiers, les conditions de sa mise en œuvre sont tellement restrictives qu’elles font craindre le pire.
On peut se demander s’il est justifié de ranger dans la même catégorie le passeur sans scrupule, qui fait payer un prix exorbitant, avec la promesse de les aider à franchir des frontières, à des personnes qu’il abandonnera éventuellement en haute mer ou en plein désert, et le chauffeur routier qui accepte de prendre à son bord des étrangers désireux d’entrer en Europe pour y demander l’asile, et qui demande à être payé pour le risque qu’il prend… Mais la lutte contre l’immigration illégale ne s’embarrasse pas de telles considérations.
Dans les milieux professionnels de l’aide sociale, par exemple parmi les responsables de structures destinées à accueillir les personnes démunies, dont des étrangers en situation irrégulière, on s’interroge. En octobre 1995, le directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) pose au ministère de la Justice la question des risques encourus par les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) qui accueillent des étrangers en situation irrégulière. Le ministère précise alors que l’article 21 ne peut trouver application que « s’il est démontré chez l’agent une réelle intention de commettre le délit concerné c’est-à-dire faciliter le séjour irrégulier de l’étranger ». Or, assure-t-il, tel n’est pas le cas dans les CHRS « puisqu’il n’y a pas volonté de la part des responsables desdits centres de violer la loi pénale, mais seulement de porter secours à des personnes se trouvant dans le désarroi ».
Le délit aurait rejoint la liste des infractions qualifiées d’actes de terrorisme – afin, selon le garde des Sceaux, « de prévenir plus efficacement la prévention des attentats terroristes » – si le Conseil constitutionnel n’avait pas mis un frein à cette dérive. À cette occasion, le Conseil examinera la conformité à la Constitution de l’article 21. Les infractions définies à cet article le sont « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire ; cette définition n’est pas de nature, en elle-même, à mettre en cause le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».
Extraits de : « DELIT DE SOLIDARITE » de Violaine Carrère et Véronique Baudet (ethnologue ; juriste), Plein Droit
n° 59-60, mars 2004, https://www.gisti.org/doc/plein-droit/59-60/solidarite.html